Le lac miroitait sous le soleil de juin. Il avait dégelé seulement quelques jours auparavant. L’hiver emprisonnait l’eau, à cette altitude, sous un épais manteau de glace. Cette année-là, il n’avait daigné fondre qu’à la toute fin du mois de mai.
L’homme était seul à marcher au bord du lac. Du moins n’avait-il croisé personne d’autre depuis une demi-heure, sur le sentier qui en faisait le tour.
Son chemin l’amenait à présent à proximité des petites îles qui parsèment le marais de l’entrée du plan d’eau. Tout près de l’une d’elles, dans l’eau, un éclair de lumière attira soudain le regard du promeneur. Rien, pourtant, ne reflétait le soleil à cet endroit, d’autant moins que le ciel était légèrement voilé. Ou alors était-ce sur l’îlot ? C’était pourtant le plus petit des quatre, large et long d’à peine une dizaine de mètres, garni de trois arbres et toujours visité par les oiseaux.
L’homme avait probablement rêvé, mais il ralentit son pas et conserva son regard pointé dans la direction d’où était venu l’éclat lumineux.
Rien.
Tranquillement, l’homme acheva son tour du lac quotidien, rentra dans son petit appartement surplombant le village et se coucha tôt, ce soir-là.
La nuit fut agitée. L’éclair de lumière l’éblouissait, se mettant en scène de mille manières. D’abord sous la forme d’un phare maritime dont l’éclat balayait le lac entier, puis d’un clignotant de voiture qui se changea en deux yeux d’un bleu-glacier qui, fondant en gouttes d’encre, retombaient dans un encrier en forme de barque.
C’est lorsque la barque heurta un iceberg dans un fracas épouvantable que l’homme se réveilla, couvert de sueur.
Malgré l’heure nocturne indiquée par la petite horloge en bois – trois heures – il décida de ne pas se recoucher et d’aller prendre une douche. L’éclair de lumière tournoyait dans son esprit et l’empêchait de penser à quoi que ce soit d’autre. Il ne dormit plus de la nuit.
Pour tout arranger, un violent orage éclata une heure plus tard. Soudain et violent, comme il peut en survenir à la montagne lorsque les chaleurs estivales s’annoncent.
Dès l’apparition du soleil, au matin, une fois l’orage dissipé, l’homme reprit le sentier du lac. Il voulait en avoir le cœur net. A l’approche de l’îlot, il redoubla d’attention.
Mais rien.
De toutes manières, s’il y avait quelque chose qui avait reflété brièvement le soleil la veille à cet endroit, dans l’eau du lac, il faudrait évidemment retrouver l’angle de vision exact sous lequel l’éclair était apparu, le bon endroit au bord du lac et la même inclinaison du soleil que la veille. L’homme acheva son tour du lac en se promettant de revenir l’après-midi, à l’heure où le mystérieux éclat était apparu la veille.
Mais les nuages avaient chassé le soleil, l’après-midi venu. De nombreuses fois, les jours suivants, il reprit le sentier du tour du lac en fin d’après-midi mais en revint toujours bredouille.
Il n’était pas prêt, pas encore.
Au « Cabanon », gentil bistrot niché au petit port des barques, l’homme s’était attablé devant une assiette valaisanne. Il repensait à tout cela. Cet éclair était totalement insignifiant. Un tesson de bouteille, un morceau d’alu que le lac aurait conservé, le reflet du soleil sur un cristal de roche, la peau argentée d’une truite même, il y avait mille probabilités pour donner à cet éclair une explication rationnelle, naturelle. Et il n’y avait aucune raison logique pour que ce petit bout de lumière qui n’avait duré qu’un bref instant le préoccupe ainsi depuis des semaines.
Mais il y avait les rêves de la première nuit, qui continuaient de tourner dans sa tête. Le phare, le clignotant, les yeux, l’encrier.
Une question se forma dans son esprit : lui qui habitait le village depuis des années ne s’était jamais demandé à qui appartenait ce minuscule îlot. Pour les trois autres, il savait : le grand était privé, appartenant à la famille bienfaitrice du village. Les deux autres, plus modestes, étaient communaux. Mais celui-ci ?
- Isabelle ? Tu me remettrais un verre de Johanis, s’il te plaît ?
- Tout de suite !
Il sentait qu’il y avait là quelque chose à creuser. Peut-être dans tous les sens du terme, d’ailleurs. Ou était-ce le délicieux vin blanc du pays qui lui faisait danser des étoiles dans la tête ?
- Et voilà mon Cher !
- Dis voir, Isabelle, la petite île isolée, la plus petite vers le marais, en dehors des trois autres, tout près du bord…
- L’île aux Oiseaux ?
- C’est son nom ?
- Tout le monde l’appelle comme ça, ici.
- A qui appartient-elle ?
La patronne éclata de rire.
- Tu veux l’acheter ?
- Non, sérieusement, à qui est-elle ? A la commune ?
- Evidemment, à qui veux-tu qu’elle soit ?
- Je ne sais pas… non c’est idiot, excuse…
Revenant derrière son comptoir, la patronne reprit son travail mais se mit à observer son client du coin de l’œil. Il avait l’air préoccupé, un air qu’elle ne lui connaissait pas. Pourtant, depuis tout petit qu’il venait au village, avant de finir par y habiter, elle l’avait vu grandir et le connaissait bien. Mais la tête qu’il faisait ce soir-là ne lui disait rien de bon.
En fin de soirée, elle lui apporta un verre d’eau-de-vie de framboise, rareté dont elle le savait friand.
- Digestif ? C’est moi qui te l’offre. Framboise, bien sûr.
- Oh merci, Isabelle !
Après avoir déposé le petit verre sur la nappe en papier, elle tourna les talons à moitié, puis se ravisa et lui lança :
- On l’appelle aussi l’île de l’Amiral.
- Hein ?
- Ton île, là.
- Pourquoi l’île de l’Amiral ?
- Une vieille histoire, faudrait du temps…
- Eh ben assieds-toi, je suis le dernier client.
La patronne tira une chaise et s’assit de biais, presque gênée. Il attribua ce malaise au fait que cette infatigable travailleuse n’aimait pas quitter son service avant d’avoir absolument tout fini.
- C’était dans les années 70, j’étais petite alors c’est flou… je ne me souviens que de ce qu’on m’a raconté.
- Qu’est-ce qu’on t’a raconté ?
- Oh tout le monde raconte un peu cette histoire au point que personne n’arrive plus à démêler le vrai du faux, la légende de la réalité.
- Essaie quand même.
- C’était un soir d’orage, en été, au camping.
- Chez Pierrot ?
- Oui, il était tout jeune gérant. Un gars débarque avec une casquette de marin et il demande un emplacement pour sa tente. Avec son ciré jaune, ses bottes et sa casquette, tout le monde au bar du camping l’a surnommé « l’Amiral » en quelques minutes.
***
L’orage redoublait de puissance, quelques campeurs approfondissaient, en toute hâte, les rigoles déjà creusées le long de leur tente. L’Amiral avait déployé la sienne, sous la pluie, l’avait montée en moins de cinq minutes avant de s’y engouffrer. C’était une minuscule « tente-cercueil », très basse, pour une personne.
Sur le coup de 22 heures, on le vit sortir, toujours avec ses bottes, son ciré et sa casquette. Mais la surprise fut grande lorsqu’il débarqua au bar : il avait en main tout l’attirail du pêcheur, canne, panier en osier pour les appâts, petit siège pliable…
- Le lac est loin d’ici ?
- Ah non, Amiral, c’est à cinq minutes, juste là-bas. Mais vous n’allez quand même pas pêcher en pleine nuit ? L’orage s’est dissipé, d’accord, mais…
L’Amiral étouffa un petit rire.
- Qui sait ? Du poisson, sûrement pas. Un trésor peut-être bien…
- Alors bonne pêche, Amiral !
- Merci ! Je rentrerai au petit matin, ne m’attendez pas toute la nuit, Patron !
- Pierrot.
- Alors ne m’attendez pas toute la nuit, ami Pierrot !
- Bonne pêche au clair de la Lune, Amiral !
Ce fut ainsi pendant trois nuits. L’Amiral sortait de sa tente vers 22 heures, paré pour sa pêche nocturne, prenait sa voiture pour faire à peine deux-cents mètres, la garait au bord du lac, phares allumés, et se mettait à pêcher. Il ne revenait qu’au petit matin. Ce curieux manège excita la curiosité des autres campeurs au point que, le troisième soir, ils furent plusieurs à le suivre discrètement dans l’espoir de percer le mystère.
Depuis les fourrés, tout proches, ils observaient l’Amiral, assis sur son pliant dans la lumière des phares de la voiture.
Il avait mis un soin particulier à garer son véhicule légèrement penché en avant, les phares éclairant le lac entre le bord où il se trouvait et la petite île aux Oiseaux, à quelques dizaines de mètres de là.
Infatigablement, il attachait un appât à sa ligne, lançait et patientait. Puis il moulinait lentement, ramenait la ligne à lui, toujours bredouille, et recommençait. Il y eut cinq à six tentatives en plusieurs heures, entrecoupées de longs moments d’attente pendant lesquels il moulinait avec précaution pour replacer l’appât au bon endroit.
Le poisson ne manquait pourtant pas, attiré par la lumière des phares, mais aucun ne semblait mordre à l’hameçon pourtant massif, si l’on en jugeait par le « plouf » sonore que produisait l’appât jeté dans l’eau à chaque coup de canne.
Les villageois et les campeurs étaient partis depuis longtemps, lassés de n’y rien comprendre, lorsque l’Amiral rentra au camping.
En fin de matinée, après cette troisième nuit, l’Amiral démonta sa tente et vint régler sa note.
- Alors, Amiral, bonne pêche ?
L’Amiral avait souri. Puis lancé, comme un appât, une phrase énigmatique qui resta longtemps dans la tête du gérant du camping :
- Vous savez, ami Pierrot… la pêche, ça compte surtout pour tout ce qu’on y laisse pendant le temps qu’on y passe. Pas tellement pour ce qu’on en retire.
***
Isabelle avait arrêté là son récit, si bien que l’homme pouvait le croire achevé. Une question lui brûlait les lèvres, à moins que ce ne soit l’eau de vie de framboise passant sur une écorchure :
- Mais… personne ne s’est jamais dit qu’il cherchait peut-être à déposer des objets dans l’eau plutôt qu’à en retirer quoi que ce soit ?
- Tu penses ! Bien sûr que si qu’on se l’est dit ! On a cherché, un temps, et puis on s’est lassés.
L’homme repensait à l’éclair de lumière qu’il avait aperçu à cet endroit précis, cet éclair tournoyait à présent dans le verre de framboise et lui faisait perdre la raison. Il sortit de ce vertige brutalement, sur la réplique suivante d’Isabelle :
- Et puis un jour la Baronne a débarqué.
***
La « Jaguar » ocre brillait sous les rayons du soleil de juillet. Dans un souffle, elle s’arrêta devant l’entrée de l’hôtel Alpes et Lac, une immense bâtisse d’un blanc immaculé, dominant le lac et construite au début du XXe siècle, à l’époque où les Anglais arpentaient les sommets helvétiques, en pionniers, et affectionnaient particulièrement ce village qui n’était alors qu’un hameau d’alpage.
En cette fin d’années 70, l’hôtel était encore florissant et arborait fièrement ses cinq étoiles. Le service s’en montrait digne. C’est donc un majordome en gants blancs qui vint prendre les clés de la voiture pour aller la garer au parking, tandis que sa conductrice s’en extirpait avec une classe qui disait d’emblée son rang, malgré l’absence de chauffeur.
- James est retenu dans sa famille par un enterrement. Quelle misère de devoir conduire ! Enfin je crois n’avoir dépassé les limites de vitesse que quatre ou cinq fois.
- Bienvenue, madame la Baronne. C’est toujours une joie de vous recevoir à Champex ! Votre suite vous attend.
A mesure qu’elle progressait dans les couloirs et les étages, les regards se tournaient. La Baronne les attirait, irrésistiblement. C’était son parfum, d’abord, qui vous atteignait, parfois avant qu’elle ne se montre. Cette fragrance entêtante et doucereuse de roses sauvages. Comme si le parfum de la Baronne voulait vous préparer d’avance à supporter le choc de la contempler de vos yeux.
Toujours vêtue de rose, déclinant les tonalités au gré des saisons, l’on était d’abord saisi par la délicatesse de ses toilettes – toujours à la dernière mode et pourtant systématiquement porteuses d’un aspect très légèrement suranné pour signifier que, si elle habitait ce monde, elle ne provenait pas du même que nous. Ses cheveux blonds qu’elle avait conservés longs malgré son âge respectable vous éblouissaient forcément ensuite, avant que deux phares ne vous hypnotisent à tout jamais, son regard bleu-ciel profond et pur comme l’eau d’une source.
Elle avait été mariée par convenance, jadis, mais depuis la mort de son époux, elle revenait seule, flanquée de son chauffeur James à qui elle laissait la jouissance de son chalet de famille lors même qu’elle préférait tous les conforts et la multitude de services de ce grand hôtel.
Ce soir-là, la Baronne dîna seule et se coucha tôt. Les serveurs lui trouvèrent une mélancolie dans le regard qu’ils ne lui connaissaient pas.
De bon matin, elle se rendit à l’embarcadère et s’approcha du petit cabanon où l’on pouvait louer une barque. Maurice, le fils du gérant du magasin de pêche, s’occupait de ce service proposé aux touristes, l’été. Le jeune homme vit arriver celle qu’il prit pour une touriste française à ses habits de sport rose-bonbon trop neufs et à son sac à dos manifestement trop rempli.
Tout en encaissant les dix francs réglementaires, il répéta la litanie qu’il avait apprise de son père et de son grand-père : la location était pour une heure, il fallait prendre garde à ne pas déséquilibrer la barque et ne pas naviguer trop près des bords, ni vers les îles en raison des hauts-fonds.
- Je naviguerai où bon me semble, mon brave.
Pincé, le jeune homme s’apprêtait à lui répondre lorsque son père – qui avait reconnu la riche veuve – s’approcha de lui en disant :
- Si Madame la Baronne de Grafenberg veut s’approcher de SON île, grand bien lui fasse, bien entendu !
Elle sourit et gratifia les deux hommes d’un regard bleu qui les laissa sans voix.
- Je ne vous avais pas reconnu, Madame la Baronne, s’exclama Maurice. Que puis-je faire pour me faire pardonner ?
- M’accompagner, jeune homme !
- Mais… la location, les barques, je ne peux… et mon père doit tenir le magasin…
Le père regarda le bistrot, juste derrière eux, héla la jeune serveuse en lui demandant si elle pouvait avoir un œil sur d’éventuels locataires de barque pendant une petite heure.
- Pas de souci, je leur servirai à boire en attendant !
- Merci, Isabelle ! A tout à l’heure fiston !
Maurice monta dans la barque avant de tendre la main à la Baronne pour l’aider à en faire autant. Elle lui pris la main tout en lui souriant. Maurice sentit un petit bout de papier qui se glissait du gant de la Baronne jusque dans sa main à lui.
- Pour la peine, dit-elle.
Une fois la Baronne installée, il entrouvrit la main avant de glisser le billet dans sa poche. Il ne put retenir une exclamation : un billet brun de cinq cents-francs suisses ! On en parlait souvent mais on ne les voyait jamais, ceux-là ! Il s’apprêtait à protester lorsque la Baronne, toujours dans un sourire désarmant, lui lança :
- A ce prix-là, j’imagine que je peux vous demander de ramer, jeune homme ?
- Bien sûr, madame la Baronne !
- Alors cap vers les îles, ne vous en déplaise !
- Avec joie, Madame la Baronne !
La barque glissa lentement sur les eaux du lac. En quelques minutes, elle longea l’île Grafenberg, comme on l’appelait ici. L’île offerte par le village à cette famille de bienfaiteurs qui avait tant fait pour le développement du lieu. Le chalet qui s’y trouvait avait les volets clos puisque James n’était exceptionnellement pas du voyage, cet été-là.
La Baronne fit signe à Maurice de ne pas accoster mais de continuer en direction de la petite île aux Oiseaux, ce qu’il fit. Quelques instants plus tard, doublant l’île aux Oiseaux, elle lui fit signe de ralentir.
- Madame la Baronne, ce n’est pas prudent, le fond est haut et le marais tout proche, on devrait virer de bord.
- Encore cinq mètres, lui dit-elle. Là, arrêtez-vous et maintenez notre position, jeune homme. J’ai un travail à accomplir.
La Baronne ouvrit son sac à dos et en sortit une sorte de canne à pêche au bout de laquelle se trouvait une plaque métallique de la taille d’une grande feuille de papier. Un fil de pêche les reliait, doublé de ce qui semblait être un fil électrique. Un petit boitier orné d’un bouton complétait la canne, côté main. Qu’était-ce donc que cela ?
La Baronne laissa descendre la plaque dans l’eau, visant un endroit précis, apparemment, en se repérant à une souche d’arbre présente sur le bord du lac à quelques mètres de leur position. Sur le sentier du tour du lac qui passait juste à côté, quelques promeneurs avait le regard attiré par cette étrange dame habillée davantage pour le jogging que pour la pêche.
La plaque métallique n’était plus qu’à quelques centimètres du fond du lac lorsque la Baronne serra le poing qui tenait la canne. Un petit clic se fit entendre. Dans l’eau, instantanément, un nuage de vase se fit sur le fond tandis que plusieurs petits chocs métalliques se faisaient entendre jusqu’en surface. La canne tressaillait à chaque fois de petits coups, comme si autant de poissons étaient venus mordre à ce curieux hameçon. En quelques secondes, il y eut une bonne quinzaine de coups. La courbure soudaine de la canne semblait témoigner de la lourdeur des objets qui venaient de s’y accrocher.
Un électro-aimant ! Maurice comprenait sans comprendre.
Quelques secondes encore, un dernier objet vint se coller à la plaque métallique. Le nuage de vase se dissipait et l’on apercevait maintenant très clairement une quinzaine d’éléments métalliques fixés à la plaque.
- Je vais avoir besoin de votre force, jeune homme, si vous voulez bien…
Maurice prit la canne des mains gantées de la Baronne et remonta, non sans peine, le butin qui devait bien faire une dizaine de kilos.
***
Isabelle avait resservi l’homme d’une généreuse dose d’eau-de-vie de framboise.
- Qu’y avait-il de collé sur la plaque ?
- Une quinzaine de ces petites boîtes métalliques, tu sais ces boîtes de bonbons pour la gorge…
- Et que contenaient-elles ?
- On n’a jamais su.
- Quoi ?
- La Baronne a simplement vérifié que l’eau ne s’y était pas infiltrée puis, satisfaite, elle a glissé un deuxième billet de cinq-cents à Maurice qui ne savait plus comment il s’appelait. Le soir au « Cabanon », en partageant le salaire de tout un été avec sa famille, il a simplement dit qu’il avait entraperçu des papiers.
***
La framboise tournait dans la tête de l’homme, encore attablé. Le « cabanon » allait fermer. Un électro-aimant. Il lui fallait un électro-aimant de toute urgence. Revenu chez lui, dans la douceur de ce soir d’été sur son balcon qui surplombait le lac et le village, ordinateur portable allumé, il se mit en quête de l’objet sur différents sites spécialisés. L’éclair de lumière, il en était maintenant convaincu, provenait forcément d’une énième boîte oubliée par la Baronne ce jour-là. Allait-on y trouver une liasse de billets, des bijoux, quoi d’autre ? Quel était le secret de la Baronne de Grafenberg ?
La commande fut passée en quelques clics et, cette nuit-là, les phares de la voiture de l’Amiral se changeaient en pièces d’or avant de se métamorphoser pour devenir les yeux bleu-ciel de la Baronne, tandis que la barque se transformait en Jaguar ocre.
Quelques jours plus tard, un paquet assez lourd arriva à la petite épicerie du village qui sert de bureau de poste. Discrètement, l’homme ramena le paquet chez lui et, une heure plus tard, redescendit à l’embarcadère pour y louer une barque. On le vit prendre la direction des îles.
Toute la nuit, on vit la lumière allumée sur le balcon du petit appartement.
Le lendemain, l’homme arriva au bistrot du « Cabanon », une boîte métallique de bonbons à la main. Il la déposa sur le comptoir et en sortit une liasse de feuilles manuscrites, sous les yeux écarquillés de la patronne.
- L’Amiral… c’était l’amant de la Baronne. Sers-moi une framboise, Isabelle, j’ai une sacrée belle histoire à te raconter…
